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Actualités 13 octobre 2023

Retour à l’emploi : le Département des Deux-Sèvres ferme la porte à l’expérimentation "Territoire zéro chômeur" en Mellois

Après deux ans de travail avec les acteurs locaux pour construire le projet d’une entreprise à but d’emploi, la Municipalité de Melle vient de se voir opposer un refus d’autorisation par le Conseil départemental.
Nous avons alors souhaité recueillir le témoignage d’élus sur ce sujet qui semble de circonstance alors que le Parlement débat en ce moment même sur un projet de loi « plein emploi »... et sur le budget 2024.

Pour Sylvain Griffault, maire de Melle (en photo ci-dessus avec d’autres élus et acteurs du projet), ce refus est "une décision méprisante, un manque de confiance aussi dans la capacité que nous avons avec nos partenaires à apporter une réponse pertinente à l’employabilité de ces personnes".

21 personnes volontaires pour intégrer l’entreprise à but d’emploi à Melle

C’était une promesse de campagne de Sylvain Griffault, aujourd’hui maire, et de son équipe lors des élections municipales à Melle en 2020 : construire un projet dans le cadre de l’expérimentation nationale « Territoire Zéro Chômeur Longue Durée » (TZCLD). Quoi de plus légitime alors que cette expérimentation est née en quelque sorte dans le nord du département, à Mauléon, en 2017 avec l’ESIAM. [1]
« La Commune nouvelle de Melle (6080 habitants) affiche un taux de chômage à plus de 10% de la population active alors que l’ensemble du département est à 5,8%. 244 personnes sont allocataires du RSA et environ 50 personnes sont en dehors des radars » explique Sylvain Griffault.

L’objectif de l’expérimentation, qui doit prendre fin au niveau national en 2026, est de créer une entreprise à but d’emploi (EBE) sous statut associatif et de développer des activités non couvertes par le tissu économique environnant. Sur la base du volontariat, les personnes éloignées de l’emploi depuis longtemps peuvent alors intégrer cette EBE à temps choisi avec une rémunération au SMIC et en contrat à durée indéterminée.
Derrière cette façade, il y a tout un travail pour présenter à l’association nationale TZCLD présidée par Louis Gallois un projet émergent qui soit pertinent et collectif, à l’échelle d’un territoire.

En Mellois donc, en parallèle de l’EBE baptisée « Les ateliers du Mellois », un Comité Local de l’Emploi a été créé en 2021, réunissant tous les partenaires de l’emploi sur le territoire : Pôle emploi, CCAS, AIPM, Comité de Bassin d’Emploi, groupement d’employeurs, services du Département… Les élus locaux sont également associés à la démarche et l’accueillent favorablement.

Sylvain Puteaux, élu municipal et Sylvain Griffault, maire de Melle, entre amertume et déception

Philippe Mouiller, Sénateur des Deux-Sèvres, président de la Commission des affaires sociales au Sénat  : « Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée, c’est un bon outil, je suis favorable à cette expérimentation. Est-ce la meilleure solution pour un retour à l’emploi, je ne sais pas, mais ça fonctionne. Quant à la décision du Département des Deux-Sèvres, elle s’appuie sans doute sur le fait que c’est une collectivité qui a déjà mis en place de nombreux outils pour prendre en charge les bénéficiaires du RSA.
Après, je trouve que la loi est mal faite. Les Départements devraient avoir le choix de financer le dispositif ou pas. Aujourd’hui, s’ils approuvent le projet, ils sont obligés de le financer.
 »

A Melle, la municipalité a décidé en 2022 d’acquérir des locaux pour héberger les Ateliers du Mellois. En deux ans la Commune a dépensé 60.000€ pour ce projet et les bénévoles y ont consacré plus de 1500 heures. « Nous avons rencontré 70 personnes et 21 ont accepté d’intégrer l’expérimentation, principalement autour d’une activité de ressourcerie. Jusqu’au bout, nous avons cru que le Département accepterait de nous accompagner. Ce refus marque un coup d’arrêt à un élan collectif qui aurait pu apporter des réponses pertinentes pour les personnes éloignées de l’emploi.  »

Le Département des Deux-Sèvres considère que ce dispositif n’est pas de sa compétence

Pour Coralie Denoues, ce dispositif n’est pas de la compétence du Département.

La Présidente du Département, Coralie Denoues, a transmis ce communiqué : "L’avis défavorable voté lundi 25 septembre 2023, par 28 voix contre 6, est la conclusion normale d’une position constante du Département à l’égard du projet de Territoire zéro chômeur de longue durée à Melle.
L’an passé, deux courriers ont été adressés en ce sens, l’un au maire de Melle, l’autre au Président de la Communauté de communes de Mellois-en-Poitou pour indiquer clairement la position du Département. Je regrette qu’à aucun moment le maire de Melle n’a pris en considération ces éléments, ce qui lui aurait évité par exemple d’envoyer une première version du dossier d’habilitation, à moins qu’il espérât par ces agissements contraindre la décision du Département.
Le dispositif Territoire zéro chômeur de longue durée s’appuie sur des entreprises à but d’emploi (EBE) qui proposent des contrats à durée indéterminée à ses salariés. Il s’agit donc bien d’une politique d’emploi durable, compétence qui relève directement de l’Etat dont on apprend par ailleurs qu’il envisage de réduire sa contribution au financement de ces postes...
Le Département est quant à lui pleinement mobilisé sur les enjeux d’insertion, compétence à laquelle il consacre un budget de plus de 45 millions d’euros par an.
"

En Charente-Maritime, point non plus d’approbation

Dominique RABELLE, Vice-présidente du Département de la Charente-Maritime en charge de l’habitat, de l’insertion et de l’emploi, a bien voulu répondre à notre interrogation sur ce sujet : "Le dispositif "Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée" (TZCLD) a été créé par la loi du 29 février 2016. Il consiste à permettre, dans les territoires expérimentateurs, l’embauche en contrat à durée indéterminée (CDI) de personnes dites « durablement privées d’emploi »
En 2020, la nouvelle loi d’expérimentation, et les décrets pris en application, ont rendu obligatoire le concours financier du Département, qui doit en outre donner son accord pour qu’un territoire soit habilité.
C’est dans ce contexte que le Département de la Charente-Maritime a été sollicité par la Communauté de Communes Aunis Sud.
Si le Département donne son accord, il s’engage à financer le dispositif. Le législateur n’a prévu aucune alternative, imposant de fait aux Départements d’assumer la responsabilité politique et budgétaire d’un dispositif expérimental dont ils ne sont pas à l’initiative et à l’élaboration duquel ils n’ont pas été associés.
Le nouveau cadre législatif a modifié en profondeur les règles de financement de l’expérimentation, en défaveur des Départements, laissant les intercommunalités engagées libres ou non d’apporter leur concours financier.
Ainsi, s’ils soutiennent la création de l’EBE, les Départements sont alors obligés de contribuer au dispositif TZCLD, non à une hauteur qu’ils décident, mais suivant un seuil d’au moins 15% de la contribution qu’y apporte l’Etat (elle-même fixée à 95% du SMIC). La complexité de la logique de financement rend illisible et non maîtrisable l’apport financier du Département.

En outre, alors que n’étaient comptabilisés jusqu’à présent que les bénéficiaires du RSA, ce sont dorénavant tous les salariés de l’EBE qui entrent en ligne de compte, le Département est ainsi mis à contribution pour des publics qui ne relèvent pas directement de sa compétence (c’est-à-dire les demandeurs d’emploi hors rSa).
Cet élargissement du public cible a eu des conséquences budgétaires immédiates pour les Collectivités engagées qui ont mis en garde contre les errements de ce dispositif et les niveaux de dépenses disproportionnés qui en résultent.
Ces nouvelles règles induisent une absence de maîtrise par le Département, sa participation augmentant au fur et à mesure des recrutements au-delà du périmètre des bénéficiaires du rSa. Ainsi, une partie des sommes versées au titre de ce dispositif s’ajouteront aux dépenses d’allocation du rSa déjà supportées par le Département (92 M€ au titre de l’exercice 2022).

Pour ces raisons, le Département de la Charente-Maritime a décidé de ne pas soutenir l’expérimentation TZCLD et a travaillé, avec le concours de Pôle Emploi et en relation étroite avec la CdC Aunis Sud, sur une offre d’accompagnement renforcé s’appuyant sur le socle des actions existantes.
Ainsi, les efforts conjugués ont permis, en seulement six mois, à 16 personnes privées durablement d’emploi d’accéder à un emploi salarié (4 en CDI), à une formation qualifiante ou de s’engager dans une démarche de création d’entreprise.
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La Vienne très engagée, approuve la démarche

Benoît Coquelet est favorable au dispositif qui "est le mieux à même de permettre à ces personnes de retrouver une activité."

Depuis l’époque où Bruno Belin, aujourd’hui Sénateur, présidait le Département, il y a toujours eu une volonté des élus départementaux de la Vienne d’accompagner l’expérimentation.
Benoît Coquelet, vice-président du Département en charge de l’Insertion, de l’Emploi, et des Pôles Economiques précise : "Je suis en charge de l’insertion depuis 2015 et je peux vous dire que les personnes qui sont au RSA, voire même en dehors de tout système d’aide et sans emploi, sont, pour la plupart, en extrême difficulté. Je préfère les savoir dans de tels dispositifs, reprenant peu à peu leur place dans la société qu’à la rue.
Aujourd’hui, en 2023, le Département a débloqué 400.000 euros pour soutenir deux entreprises à but d’emploi : à Poitiers (PAPIOLE) et en Châtelleraudais (TOPE 5). Nous finançons d’ailleurs le poste de chargé de projet à hauteur de 15.000€ pendant les trois premières années. Les entreprises à but d’emploi ont bien compris la nécessité, au bout de cette période, d’arriver à une certaine autonomie financière avec un modèle économique pertinent. En contrepartie, ils se sont engagés à accueillir au moins 50% de bénéficiaires du RSA parmi leurs effectifs.
Deux autres projets sont en préparation : Jaunay-Marigny/Dissay et Migné-Auxances. Nous aurons à délibérer sur celui de Jaunay-Marigny au Conseil départemental le 19 octobre.
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Bruno Sulli et son équipe dans les locaux de la ressourcerie Le Ressort à Naintré dans la Vienne

TOPE 5 va atteindre les 60 salariés à la fin du mois

Nous avions rencontré l’équipe du TOPE 5 au printemps dernier (reportage à lire ici). Bruno Sulli, qui pilote cette initiative en territoire châtelleraudais depuis le début, a bien voulu réagir pour enrichir le débat : "Sur les 55 salariés que nous employons, la moitié étaient au RSA. Cette activité leur permet d’être en meilleure santé physique et mentale, de consommer aussi - le CDI change beaucoup de choses - d’être plus mobiles aussi. 20 personnes sont sur liste d’attente pour intégrer l’entreprise ; nous serons 60 à la fin du mois."
Les activités de TOPE 5 sont une ressourcerie, une champignonnière, un maraîchage bio et une conserverie. "La baisse de la prise en charge de l’Etat, tout comme l’augmentation de l’énergie sont des paramètres que nous avons intégré à notre business plan, comme toute entreprise. Le but est de dégager une certaine rentabilité !"

Que peut-on dire en conclusion ?

Le retour à l’emploi est un sujet complexe. Les personnes ne sont pas des machines. Pour certains, la perspective d’un emploi dans une entreprise "classique" est hors d’atteinte (fragilité, handicap...). L’entreprise à but d’emploi, de par son fonctionnement, leur permet de reprendre une activité professionnelle selon le rythme qu’ils souhaitent, sans pression, parfois après de longues années d’exclusion du "système".
Tous les dispositifs qui permettent cette intégration devraient pouvoir être soutenus. Comme le souligne le Sénateur Mouiller, la loi est sans doute mal faite, liant l’acceptation des Départements à une participation financière.
Le sujet est en discussion au Parlement, peut-être pourrait-il être revu en ne limitant pas le budget global alors que 38 départements ont donné leur feu vert à cette expérimentation, que d’autres sont candidats ... et que l’Europe s’empare du sujet pour le développer (lire l’article ICI.)

CR

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[1Suite à la loi du 29 février 2016, dix premiers territoires ont été autorisés à expérimenter le droit à l’emploi, dont Mauléon.


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