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Actualités 27 mars 2013

Décentralisation ; l’acte III : avec ou sans les citoyens ?

La table ronde angoumoisine sur le projet de loi « Acte III de la décentralisation » s’est tenue le 21 mars devant un public de 150 personnes. Si le texte, actuellement en navette entre Assemblée nationale et Sénat, n’est pas encore finalisé, il suscite déjà des questions. Sera-t-il finalement porteur de l’ambition
que recèle son titre, ou ne s’agira-t-il que d’un coup d’épée dans l’eau ?
Compte-rendu de débat.

En introduction à la table ronde, William Jacquillard, président du conseil de développement (« Codev ») du Grand Angoulême prévient qu’en l’état actuel du projet de loi, « on repère encore quelques complexités institutionnelles et
l’absence d’un vrai paragraphe sur le rôle citoyen
 ». Pour ce vieux routier de l’engagement citoyen, «  il est encore difficile de se faire entendre », dans un contexte où « depuis Voynet en 1999, aucune loi n’a repris le concept de
conseil de développement
 ».

Maître de conférences en sciences politiques à l’Université Bordeaux-IV, Marion Paoletti a fait le point sur les grandes lignes du projet de loi. « Dans le contexte français de mille-feuilles institutionnel peu lisible, il vise à remettre en avant
le concept de chef de file, redonnant à chaque collectivité sa compétence de prédilection, il renforce les métropoles (500000 habitants ou plus) pour lesquelles il créé même la possibilité de compétences à la carte...
 ». Et l’universitaire
de constater : « Une portion congrue du projet est réservée à la participation citoyenne. On peut néanmoins s’en féliciter car ce n’est pas la logique habituelle des projets de loi ». Et de citer quelques innovations en ce sens : publication de toute l’info publique (open data), renforcement des Ceser, renforcement des conseils de développement (moyens affectés et capacité d’auto-saisine), droit de pétition des citoyens...

Une « maîtrise d’usage » citoyenne

Maîtrisant le contexte historique de la décentralisation qu’elle exposa également, Marion Paoletti sait que le diable se cache souvent dans les détails des projets de loi. Sur le droit de pétition citoyenne, elle suggère de changer la rédaction actuelle du projet pour que le peuple ait le droit « d’obtenir » une pétition au lieu de simplement pouvoir la « demander ». Elle cite sur ce point l’exemple helvétique de la votation et rappelle que la pétition d’initiative citoyenne est désormais institutionnalisée en droit européen. Par contre, « sur les conseils de développement, le projet de loi tente vraiment de donner toute leur place aux citoyens ».

S’appuyant sur son expérience de présidente du conseil de développement de la communauté urbaine de Bordeaux (CUB), Fabienne Brugère est persuadée de l’utilité des Codev. « Plus souples que les Ceser, ils permettent d’intégrer
plus de diversité sociale
 ». Elle met en avant le concept d’expertise d’usage : « Tout autant que l’élu est maître-d’ouvrage et le technicien maître-d’oeuvre, le citoyen est maître-d’usage car son analyse part des modes de vie ». Elle
estime que les Codev sont un succès : « Dans la CUB, cette instance consultative a trouvé sa place, malgré l’insécurité que représente la participation citoyenne pour les élus et les services ». Dans l’agglomération bordelaise, il permet l’émergence d’une conscience métropolitaine qui transcende l’appartenance communale. Reste à savoir si cela est transposable en zone rurale [1]....

En conclusion, Marion Paoletti espère que le texte sera finalement promulgué en faisant la part plus belle qu’actuellement à la démocratie participative. « Il faut pour cela que le législateur agisse en élu national et non pas en élu local qu’il est également souvent ». Philippe Lavaud, maire d’Angoulême et président de Grand Angoulême n’oublie pas le nerf de la guerre : « Si ce texte renforce la démocratie locale, alors il devra s’accompagner d’une loi fiscale d’envergure, pour donner aux collectivités les moyens de le mettre en oeuvre. Il faudra aussi penser à la péréquation entre territoires riches et moins riches ». Pour James Renaud, président du Codev du Grand Poitiers [2], le texte est pour les Codev « une avancée, mais qui va beaucoup dépendre de notre participation citoyenne ». Bref, la loi ne fera pas tout.

De gauche à droite : James Renaud, Marion Paoletti, Fabienne Brugère, William Jacquillard, Martine Pinville, Jean-Michel Bolvin et, au pupitre, Philippe Lavaud.

Verbatim

La participation citoyenne est une chose, le déficit d’information et de communication en est une autre. L’intérêt des médias pour l’action publique est faible. Si on ne fait pas de focus, on n’a rien. Nous avons là une vraie stratégie à
trouver - Philippe Lavaud, président de Grand Angoulême.

C’est aussi le rôle des Codev de créer le débat public et médiatique, comme nous le faisons dans l’agglomération bordelaise via des « Cafés de la controverse » en partenariat avec Sud-Ouest – Fabienne Brugère, présidente du Codev de la communauté urbaine de Bordeaux.

Le concept « open data » rend l’info des collectivités disponible aux citoyens. L’info est ouverte, c’est bien. Est-elle lisible, c’est une autre affaire. Heureusement, on trouve toujours un citoyen plus motivé, plus compétent pour en faire quelque chose - Marion Paoletti, maître de conférences en sciences politiques à l’Université Bordeaux-IV.

Dans les zones rurales, les Codev fonctionnent peu ou ne fonctionnent pas. Par ailleurs, je ne sais pas comment il va être possible d’instaurer la parité aux municipales dans toutes les communes de moins de 1000 habitants, où il est
extrêmement difficile de trouver des femmes pour les conseils – Jean-Michel Bolvin, président de l’association des maires de Charente.

Les femmes, quand on les cherche, on les trouve ! Je monte une liste pour les prochaines municipales dans ma commune. J’aurais bien aimé pouvoir constituer une liste que de femmes et je les avais trouvées ! - Isabelle Mouflet, habitante de Vindelle, commune rurale en périphérie d’Angoulême.

Qu’on soit élu, militant associatif ou membre du Codev, on demeure une élite, on reste souvent très loin du peuple... En outre, dans une tradition très française, les Codev se fondent toujours sur le discours et non sur l’expérimentation... Mais qu’attend-on pour donner aux gens les moyens de l’expérimentation ?! - Jean-Claude Caraire, militant associatif angoumoisin, ancien élu.

Je n’ai pas l’impression de faire partie d’une élite, je suis avant tout une citoyenne qui collecte et fait remonter les doléances de mes concitoyens. Le Codev reste sans doute quelque chose d’urbain. La remarque de M. Bolvin sur la
difficulté d’impliquer les femmes dans la vie démocratique en zone rurale est foncièrement juste – Anne-Laurence Audouin, « petite élue d’une petite commune de moins de 100 habitants ».

LB.


[1La participation citoyenne, un privilège urbain ?

« J’ai l’impression que le projet de loi convient aux zones urbaines mais est inadapté aux zones rurales » lâche Jacques Vian, président du Codev de l’Ouest Charente - Pays de Cognac. La première question de la salle fût symptomatique du fossé qui existe entre villes et campagnes en matière de démocratie citoyenne.
D’un côté, des agglomérations et métropoles où les citoyens sont nombreux et investis, où il n’est pas difficile de trouver des compétences bénévoles pour bâtir des Codev divers voire paritaires. De l’autre, de petites communes rurales où les
maires craignent de ne pouvoir présenter des listes paritaires aux prochaines élections municipales (alors que cela pourrait devenir obligatoire) et où la participation citoyenne se réduit comme peau de chagrin. Toute la table ronde a
été marquée de cette dichotomie flagrante, et en l’état le projet de loi se contente bien d’évoquer des Codev « dans les agglomérations ». Si bien que William Jacquard a précisé à l’attention des nombreux présidents de Codev ruraux
inquiets de l’avenir, que la Coordination nationale des Codev dont il est également membre « vient de remettre au législateur une motion visant à conserver les Codev ruraux existants »

[2James Renaud : l’incarnation du vrai citoyen

James Renaud

Président du conseil de développement du Grand Poitiers, James Renaud incarne à cette table ronde, de par sa personnalité, l’engagement citoyen pur, désintéressé et constructif. Face aux préoccupations de plusieurs de ses
homologues de zone rurale portant sur la reconnaissance institutionnelle des Codev, il recentre : « La vraie question est de savoir comment évolue la société et comment évoluent ses attentes. Vers quoi va-t-on ? Mon conseil de
développement est-il capable de répondre aux besoins des citoyens, mène-t-il des actions qui les concernent ?
Dans le contexte actuel de défiance vis-à-vis du politique et notamment des plus jeunes, c’est du devoir des Codev de se poser ces questions. Il ne faut pas laisser ça aux élus, même si c’est dans leurs compétences ! Il faut toujours partir des
besoins du citoyen, même si après prendra qui pourra... Nous avons un devoir d’autonomie et de diversité. Ca ne sert strictement à rien de singer les élus ! ». D’autre part, quand survient le débat sur l’écart entre villes et campagnes,
James Renaud se pose là encore en lanceur de ponts : « Sur des sujets tels que les transports ou la fourniture en alimentation, nous travaillons bien évidemment en relation avec les Codev ruraux des Pays autour de Poitiers ».


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